Mon histoire
Acte I
Les prémices d'un conte de fées
Autrefois une jolie jeune fille ayant tout pour plaire. Bien évidemment imparfaite, certes, mais populaire et appréciée par beaucoup de monde malgré sa timidité, notamment pour son talent en chant, au piano et à la harpe. Elle menait une vie toutefois paisible, bien que rythmée par les difficultés rencontrées en chemin. Brillante élève, elle avait sauté la cinquième au collège puis avait obtenu son bac littéraire avec brio, à ses dix-sept ans. En résumé, elle avait tout de la jeune adulte heureuse. Du moins, c'est ce qu'elle laissait paraître. Car personne n'est totalement blanc ou noir. Et parmi ces nuances de gris, notre jeune étudiante ne dérogeait pas à la règle. Mais ne nous attardons point sur ce fait. Sadiques que nous sommes, nous nous intéressons davantage à la suite, et particulièrement au pourquoi du comment sa vie avait subitement basculé, donnant naissance à l'entité détraquée ayant pris possession de son enveloppe charnelle.
Nous allons assister à la lente descente aux enfers de Sephora Hallebas.
Acte II
Une idylle illusoire
Cela aurait dû être l'un des plus beaux jours de sa vie. Pourtant, il fut celui qui lui offrit d'ores et déjà un aller simple pour l'enfer. Son cœur fragile était désormais entre les mains d'un beau jeune homme. Jamais aucune de ses précédentes relations n'avait été aussi fusionnelle. Aux yeux des autres, ils formaient le couple parfait que tout le monde enviait. Leur amour grandissait de jour en jour, et pendant une délicieuse période, la rouquine avait cru avoir trouvé le véritable prince charmant.
Ainsi, pendant un an, elle avait pu goûter à un amour passionné. Oui, un an de pur bonheur, à nager dans un océan de promesses d'amour fallacieuses. Une délictueuse année de calme... avant la tempête.
Cela aurait pu être une balade en amoureux comme les autres, si ce jour-là, un phénomène étrange ne s'était pas manifesté dans la forêt. Quelque chose de lumineux, de translucide, d'invisible ? Ses lointains souvenirs sont flous à présent, délaissés au fin fond de sa mémoire. Mais cela importe peu lorsque l'on sait que la curiosité l'a emporté sur la prudence, et qu'il n'a suffi que de ça pour qu'on la pousse à l'intérieur et qu'elle perde conscience après une vive douleur à la nuque.
Acte III
Bienvenue en enfer
Dix-huit ans.
À peine dix-huit ans... et déjà brisée.
Son réveil fut brutal, et l'on n'attendit pas qu'elle reprenne ses esprits pour tout lui balancer de but en blanc. Les deux mondes, Erebe, les créatures surnaturelles, les portails, son nouveau statut d'esclave, mais surtout le fait d'apprendre que celui qu'elle avait aimé pendant un an la manipulait et était dorénavant son maître acheva de lui briser le cœur. Elle tenta de ne pas y croire, mais après avoir vu la vérité de ses propres yeux, elle dut se rendre à l'évidence. Un discret tatouage en forme de triskel ornait désormais son cou, non loin de sa jugulaire.
Le choc fut assez violent pour la rendre apathique pendant un mois environ. Elle pleurait beaucoup, mangeait et buvait juste de quoi survivre - du moins lorsqu'on la forçait à avaler - , se réfugiait dans un profond mutisme et se contentait de fixer le vide sans obéir aux ordres. Pendant un mois, on s'occupa d'elle comme d'un pantin de chair - le « on » désignant les esclaves et autres domestiques du riche Mahr dont elle avait eu le malheur de s'amouracher – tandis que lui la délaissait sans aucun scrupule, attendant simplement qu'elle se résigne à accepter son sort.
Et cela arriva. Elle ne tint pas plus de trente-trois nuits, ne pouvant se résoudre à se laisser crever comme un vieux légume. C'était tout à fait pathétique. Et pour la première fois depuis son arrivée, une lueur d'espoir naquit en elle. Non, elle ne se laisserait pas mourir, et elle trouverait le moyen de fuir loin de lui, loin de ce monde tyrannique, pour retrouver les siens.
Acte IV
Un ange aux ailes arrachées
Ainsi, elle reprit vie, se força à obéir, cacha son dégoût et calqua ses gestes sur ceux de ses consœurs et devint bientôt une esclave identique aux deux autres. Mais lorsque quelque chose n'était pas accompli correctement, le Mahr se montrait impitoyable et n'hésitait pas à les frapper. Pas suffisamment pour les blesser gravement, non. Il tenait trop à ses « bijoux » comme il aimait les appeler, un rictus carnassier sur le visage, bien que le qualificatif « jouets » aurait certainement été plus convenable. L'ancienne étudiante ne mit pas longtemps à découvrir l'étendue de sa cruauté qu'elle eut du mal à superposer à celui qui avait joué avec ses sentiments toute une année. Il avait diaboliquement bien joué son rôle, et elle était tombée sous son charme en un clin d’œil.
Elle qui au départ n'avait ressenti qu'une immense tristesse, sentit naître une colère sourde au fond de son âme, une profonde haine envers celui qu'elle avait appris à connaître sans véritablement le faire. Lui savait tout d'elle, anticipait toutes ses actions et réactions. Il prenait un malin plaisir à jouer avec elle, et pendant un an, il la fit tourner en bourrique. Une longue année durant laquelle l'humaine semblait se contenter de subir, faisant preuve d'un sang-froid remarquable. Si le Mahr en fut surpris, il n'en laissa rien paraître. On la voyait sans doute désespérée, ou bien au contraire heureuse d'être ici. Car oui, elle avait réappris à sourire. Ce fut long, mais elle réussit finalement à reproduire à merveille toutes les expressions qui avaient autrefois habillé ses traits. Elle-même avait fini par se croire heureuse. Le seul qu'elle ne dupait pas était son maître, mais même lui fut bien loin de se douter qu'intérieurement, l'espoir ne l'avait jamais abandonné.
Et durant de longues nuits, elle se familiarisa avec ce nouveau monde, perdit goût en tout, oublia le soleil, rumina ses sombres pensées, enfouissant lentement ses souvenirs au fin fond d'elle-même. Mais elle se jura de ne jamais oublier les visages de sa famille, de ses amis, de ne jamais oublier son monde. Tout cela lui manquait horriblement. Elle se consumait à petit feu. Néanmoins, une promesse subsista et l'aida à résister : celle de ne plus jamais tomber amoureuse.
Ne lui restait plus qu'à attendre son heure.
Acte V
Sombrer dans l'oubli
Ses efforts finirent par payer. Il fallait croire que l'étudiante auparavant transie d'amour qu'elle était fut plus courageuse qu'elle n'en avait l'air. Elle avait à présent la confiance de ses disciples, et dès lors que l'occasion se présenta, elle la saisit. Comment s'était elle débrouillée pour partir seule, dans le noir, sans rien ni personne pour l'aider ? Tout ce dont elle se souvint fut leurs corps endormis paisiblement, dans des positions grotesques, un récipient contenant un liquide douteux posé près d'eux, mélange de plusieurs puissants somnifères. Et elle s'était enfuie dans une des sempiternelles nuits de ce monde, sans jeter un regard en arrière, avec en sa possession les vêtements qu'elle avait sur le dos et une simple chaîne en or autour de son cou, seul objet lui venant de son monde et dont elle avait catégoriquement refusé de se séparer.
Les premières heures furent particulièrement éprouvantes. La peur au ventre, elle s'était mise à marcher pendant plusieurs heures, empruntant les sentiers isolés menant à la forêt la plus proche. Elle avait eu le temps de peaufiner un minimum son itinéraire, mais avançait tout de même de façon hasardeuse, craignant à chaque seconde de se faire attaquer par quelque chose ou quelqu'un. Puis elle se dit soudainement que ce qu'elle avait fait était de la folie, qu'on la rattraperait et qu'on la tuerait, ou bien qu'on lui ferait subir pire que la mort. Mais il était désormais impossible de reculer, le mal était fait. Alors elle avança, elle avança jusqu'à n'en plus pouvoir. Et dix heures de marche plus tard, dans le froid et sous le regard navré de la pleine lune, elle s'effondra au sol avant de sombrer dans un profond sommeil, vidée de tout énergie.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle se réveilla paralysée par les courbatures, allongée sur un matelas douillet, une femme bienveillante à son chevet et par-dessus tout... humaine. La rousse crut rêver lorsque cette dernière annonça vouloir l'aider avant même de la questionner. Elle savait. Comment savait-elle ? Son regard s'attarda ensuite sur ce qui l'entourait. La femme était assez âgée, environ la soixantaine, et son corps ridé présentait d'innombrables cicatrices. La maison quant à elle était délabrée, et par la fenêtre, on pouvait vaguement apercevoir la masse sombre et dense des végétaux. Aucune lumière alentour si ce n'étaient les rayons lunaires qui peinaient à percer la voûte feuillue, seule une lanterne posée dans un coin de la masure diffusait une faible lueur dorée.
La femme avoua être une ancienne esclave du puissant Mahr, enfuie de la luxueuse demeure il y a plusieurs dizaines d'années de cela. En effet : sur son cou se trouvait une marque identique à celle de la fugitive. Si cette marque lui rappelait sans cesse de mauvais souvenirs, elle avait au moins eu un avantage : celui de l'avoir auparavant protégée des éventuelles morsures de vampire et des maîtres en quête de nouvelles recrues. Beaucoup savaient qu'il valait mieux ne pas provoquer cet individu... Néanmoins, l'ancienne captive la rassura sur un point : cet homme pouvait se procurer des esclaves sans cesse et ne se donnait pas la peine de récupérer les désobéissantes qui ne méritaient aucun intérêt et qui selon lui, fonçaient dans la gueule du loup. Peu de monde acceptait d'aider celles qui avaient auparavant été entre les mains du détestable maître friand de jeunes humaines. Rares étaient donc les survivantes après cela. Mais aucune ne put retourner dans son monde.
Son cœur se serra, mais cette révélation fut loin d'éteindre la flamme d'espoir brûlant en elle. Cette rencontre fut brève, et après lui avoir donné de quoi survivre et conseillé de continuer vers le Sud lorsqu'elle eut refusé plus d'aide de sa part malgré ses protestations, la femme lui adressa ses prières les plus sincères. Ainsi donc, la jeune continua inlassablement son chemin, bien décidée à revenir sur Terre, et ce sans l'aide de personne. Non, elle ne pouvait avoir confiance en personne à Erebe.
Acte VI
L'éveil d'un monstre
Ce fut le début d'un long périple pour elle. D'étudiante heureuse, elle était devenue vagabonde en passant par la case esclave. Ses débuts furent extrêmement difficiles malgré les multiples recommandations de la dame. Elle qui était habituée au confort douillet de son chez-soi et même de la demeure du Mahr eut beaucoup de mal à s’accommoder à cette précarité. Porter un sac lourd sur son dos à longueur de journée, faire un feu, purifier l'eau, chasser du petit gibier, se trouver un endroit sûr pour la nuit ou bien trouver de quoi se nourrir et se vêtir chez les gens, se défendre, soigner ses plaies. Se payer une chope d'hydromel à une quelconque taverne avec quelques pièces chapardées par-ci par-là, se débarrasser de cette lancinante solitude, un peu. Puis retourner se murer dans le silence, loin de tout. De longues années.
Loin de la vie.
Loin d'eux.
Oh, oui, c'est long, ça fait mal. Apprendre. Attendre. Doucement. Longtemps.
Combien de temps ? Sait pas. Cinq ans ? Six ans ? Cent ans ?
Errer. Sans fin. Sans rien trouver.
Elle ne peut pas. Elle ne peut plus.
Souffrir, encore.
Et puisque nous sommes d'une grande bonté, pourquoi ne pas la partager, cette chose qui nous hante ?
Qu'elle le laisse, ce pauvre homme. Il ne lui a rien fait. Voit-elle ce liquide carmin ?
Oubliée, la peine. Oubliés, les problèmes. Ce soir, elle chante mon désespoir et l'accompagne de la douce mélodie de cette jolie harpe rouge.
Elle dégouline, la harpe. Et sous cette succulente liqueur, elle croit apercevoir un éclat doré.
Ce n'était sûrement que mon imagination.
La marque, elle me l'a arrachée. Elle a pris mon poignard, a férocement découpé la peau de mon cou et a jeté le morceau plus loin. Près de l'homme.
Il dort, le monsieur. Alors, elle lui a emprunté sa harpe.
Il est sur un joli matelas de cresson. Avec des fleurs. Marron, les pétales. Pourpre, la sève. Comme celle qui suinte de ma gorge.
Quel doux spectacle.
Sardonyx. Ce n'est pas moi. C'est un esprit de chair et de sang. Elle a perdu ma prison de souvenirs. Elle a perdu mon humanité.
Elle m'a perdue.
« Obscurité, tu seras dorénavant pour moi la lumière. »
À suivre in rp...